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Aurèle Nicolet

« le Jurassien »

 

Mon cousin Dimitri Vecchi, natif de Tavannes, et moi-même, enfant de Mont-Soleil sur Saint-Imier, dans le Jura sud, nous étions au début des années 80 de jeunes étudiants de flûte au Conservatoire de La Chaux-de-Fonds, dans la classe de Jean-Philippe Schaer. A l’époque, nous bénéficiions de la bienveillance et de la compétence de Robert Faller, qui dirigeait encore le conservatoire peu de temps avant sa disparition prématurée.

Aurèle Nicolet se sentait vraiment à la maison dans « ses » «  Montagnes Jurassiennes » et aimait y revenir. Je l’entends encore dire avec sa belle voix profonde «  quel plaisir de traverser ces Franches-Montagnes ! » quand il voyageait de Bâle à la Chaux-de-Fonds en voiture.

Dans une entrevue accordée à la critique musicale Denise de Ceunick (DdeC) en 2005, il expliquait:

 

« Par mon père, professeur de chimie, je suis de Neuchâtel où j’ai fait mes humanités, et de Tramelan.

Par ma mère, née Perret, je suis des Brenets : c’est là mon pays ! ».

Il ajoutait : « Marcel Moyse a été mon premier professeur de flûte traversière »,

 

alors que ce maître invité de Charles Faller venait épisodiquement au Conservatoire des Montagnes.

En 1945, immédiatement après la libération, Aurèle Nicolet rejoint Marcel Moyse à Paris où il poursuit ses études : « Paris, c’est la meilleure école instrumentale… », disait-t-il.

 

Ma rencontre avec Aurèle Nicolet eut lieu dans les murs de ce Conservatoire à l’occasion d’une «masterclass » d’une semaine, organisée par le Rotary Club en octobre 1983. A l’occasion du concert final au Locle, Aurèle Nicolet demanda à Philippe Racine venu nous faire une visite impromptue :

« Serais-tu d’accord de faire une improvisation au concert de ce soir, comme tu l’as fait pour le rappel lors de tes derniers examens ? »

Philippe Racine accepta et son improvisation, d’une créativité phénoménale, fut pour moi une véritable révélation. D’un seul coup, en plus d’Aurèle Nicolet, je devins un grand « fan » de Philippe Racine. Il incarnait dans son improvisation, toutes les qualités : une maîtrise totale au service de l’expression pure et spontanée dans un état d’esprit décontracté, de l’humour « pince sans rire » mais avec une grande rigueur. « Courant haute tension ! un jeune homme à surveiller de près » selon DdeC dans sa critique. Cette prestation m’avait ouvert les yeux et les oreilles sur les possibilités d’une telle attitude musicale, merci Philippe.

Après cette masterclass, les conditions étaient donc réunies pour favoriser la construction d’une relation pédagogique et amicale plus intime entre nous et Aurèle Nicolet. Sans être un étudiant régulier de sa classe, j’ai pu profiter pendant 3 ans de ses leçons. Mon souvenir visuel le plus fort est lorsque j’entrai pour la première fois dans le studio de musique à Oberwil. Sur la porte d’entrée, une photo extraordinaire: Aurèle jouant avec un oiseau qui se pose sur sa flûte. Je fus fasciné par cette image d’une connexion parfaite avec la nature et les éléments. Pour le souvenir auditif, quelques secondes après, ce fut la sonorité chaude et déjà si puissante dans les graves de Félix Renggli interprétant le 1er mouvement du La mineur de C.Ph E Bach pour flûte seule. Un son inscrit à jamais et une image précise et limpide.

Le plus souvent, avec mon cousin Dimitri Vecchi, nous participions à ces master classe d’Oberwil. C’était un immense plaisir, avec pas mal de pression. Car après avoir entendu plusieurs flûtistes, Italien, Allemand, Japonais… très fameux… Aurèle Nicolet disait : « Bon ! Maintenant on va entendre les flûtistes Jurassiens ». C’était pour nous une fantastique motivation.

L’héritage d’Aurèle Nicolet, est d’avoir la passion de tous les arts : cette capacité de se nourrir et d’intégrer la culture dans son travail de musicien, et non de s’isoler musicalement avec sa flûte. J’ai le souvenir que le flûtiste « performer autiste » lui faisait peur et qu’il n’aimait pas trop cette façon flûto-flûtistique un peu obsédée et fanatique de ne vivre la musique qu’à travers la flûte.

 

« Mieux vaut faire de la musique que d’en consommer… »,

 

disait-t-il en 2005 à l'issue d'une conférence au Club 44, lors d'une interview pour L'Impartial. Aurèle Nicolet déplorait qu’un Conservatoire « conserve », que l’étude reste structurée autour des XVIIIe et XIXe siècles. Il dénonçait la paresse des interprètes face à la production contemporaine, l’arrogance de la classe musicale.

« L’homme a besoin d’utopie, la musique la lui offre… ».

Pour la maîtrise technique et la musicalité, avec Aurèle Nicolet, toujours des remarques judicieuses et les bons conseils qui mettent sur la piste de la créativité pour travailler un passage, la fameuse transformation et la maîtrise d’ordonnances mélodiques.

« crée une mise forme », « chante dans la flûte à l’unisson », « fait un son de trompette dans l’embouchure», « que fait le continuo dans ce passage ? » et pour les passages contemporains les plus improbables, « trouve toi-même un son ».

Lors d’un cours dans les années 2000 à la Chaux-de-Fonds, il proposa une direction de travail à un étudiant. Ce furent exactement les pistes dont nous avions besoin pour pratiquer les musiques créatives et improvisées. A ce moment-là, nous nous sommes regardés avec Patrick Lehmann (fameux trompettiste classique pratiquant le jazz) pour valider cette proposition. Un regard qui en disait long sur le côté universel de cette direction musicale. Personnellement, cette philosophie et cette approche musicale m’aident continuellement dans mon travail de maîtrise instrumentale au service de la flûte créative et improvisée.

Je pense souvent à lui nous écoutant, sa position les bras croisés avec sa cigarette devant la bouche sans trop tirer dessus, mais laissant quelques volutes de fumées s’échapper devant ses yeux. Lors de ses passages dans la Salle Faller de La Chaux-de-Fonds dans les années 1990 et 2000, il aimait bien se griller une petite sèche, et même si l’interdiction formelle de fumer dans les lieux publics n’était pas encore de mise, plus personne ne fumait dans le bâtiment fraîchement rénové. Heureusement, personne n’eut envie de le contrarier pour cela !

Sur une photo d’octobre 1983, Dimitri et moi nous jouions un Trio Sonate de J.S Bach. Je me souviens qu’il s’est approché de nous pour nous faire travailler, tenant discrètement sa cigarette allumée entre ses doigts. Cette situation banale, qui personnellement ne m’a jamais dérangé qui mais serait impensable à l’heure actuelle, était d’une certaine manière l’expression d’une certaine liberté de vivre, une liberté qui n’enlevait rien à la courtoisie des grandes personnalités du XXème siècle.

Mathieu Schneider Octobre 2016

3ème semaine artistique du Jura Neuchâtelois
du 10 au 15 octobre 1983

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Hommages

Des amis, collègues du monde entier ont retranscrit leur mémoires avec Aurèle Nicolet:


András Adorján • Robert Aitken • Eckart Altenmüller • Philippe Bender • François Binet • Silvia Careddu • Robert Dick • Ana Domancic • Sophie Dufeutrelle • Riccardo Ghiani • Anna Grass • Renate Greiss • Michael Hasel • Mikael Helasvuo • Aoki Hiroshi • Barthold Kuijken • Veronika Nicolet • François Perret • Marina Piccinini • Peter Reidemeister • Vincent Rivier • Günter Rumpel • Mathieu Schneider •et Emmanuel Pahud

Les nombreux témoignages et images
montrent la personnalité unique d’Aurèle
Nicolet. Curieux insatiable, aimant la
philosophie autant que la musique, altruiste
et bon vivant, il aura marqué pour longtemps
les personnes qui ont croisé son chemin 

UN MUSICIEN ACCOMPLI

Artiste érudit, professeur exigeant et passionné, Aurèle Nicolet était bien plus qu’un flûtiste. Ses élèves, ses collègues témoignent de la grandeur de ce musicien.

 

SOMMAIRE

Neuchâtel, Berlin, Freiburg am Breisgau • Un pédagogue exigeant • Une personnalité hors du commun • Un être altruiste et généreux • Un musicien accompli • Un passionné pour Bach et le siècle des Lumières • Documents d’archive • Discographie

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